Rencontre du Laboratoire LIFE,
du 3 décembre prochain,
« Soigner le milieu, actualité et fécondité de la pédagogie institutionnelle »

Description: 

Pour tisser des liens entre la recherche, les pratiques et le débat public à propos de l’école, le Laboratoire Innovation Formation Education (LIFE) a l’habitude d’organiser des conférences-débats en soirée : les Entrevues de LIFE. Il
inaugure cette fois les Rencontres de LIFE : une journée entière d’échanges d’expériences et d’idées, réunissant les acteurs et actrices intéressés autour d’une question d’actualité. Cette première édition sera consacrée à ce que la pédagogie institutionnelle apporte et peut apporter à la structuration des relations et des apprentissages scolaires, soit dans des écoles ou des classes qui ont fait le choix de s’en réclamer, soit dans celles qui font un usage partiel et éventuellement rebaptisé de certains de ses outils. La manifestation est organisée en collaboration avec l’École de la Neuville, fondée en 1973 par Michel Amram, Fabienne d’Ortoli et Pascal Lemaître avec la collaboration de Fernand Oury et Françoise Dolto. Elle associe les équipes AFORDENS (Apprentissage, formation et développement professionnels dans l’enseignement) et ERHISE (Histoire sociale de l’éducation) de l’Université de Genève, ainsi que des membres de la Haute école pédagogique du canton de Vaud et du Laboratoire École, Mutations, Apprentissages (EMA) de l’Université de Cergy-Pontoise. Elle propose un programme de débats, films documentaires, ateliers pratiques et boutiques d’information, impliquant d’une part des équipes de pédagogie institutionnelle de France, de Belgique et de Suisse, d’autre part certains des chercheurs et chercheuses (Mireille Cifali, Daniel Hameline, Bruno Robbes) ayant accompagné leur route au fil des ans. L’entrée est libre, mais – institutionnalisation oblige… – une inscription en ligne est demandée.

Uni Mail –  Entrée libre –  inscription en ligne

Samedi 3 décembre 2022, 08h30 – 17h. 

Programme :

Dès 08h00 : accueil, boutiques, films en boucle, échanges, buvette (espace ouvert toute la journée).

Matin – La pédagogie structurée par les institutions : regards sur trois classes coopératives

08h30 : Accueil et introduction de la journée : Olivier Maulini, Rita Hofstetter et Daniel Hameline.

09h00 : Projection du film « La classe coopérative. Repenser l’école ». Puis dialogue avec Michel Amram et Fabienne d’Ortoli, auteur-es du film, animé par Bruno Robbes.

11h00 : Soigner le milieu aujourd’hui ? Débat avec Françoise Budo (Haute école libre Mosane- Belgique (HELMo) et « Tenter plus », Belgique), Mireille Cifali (Université de Genève, Suisse) et Anouk Ribas (Cergy Paris Université & INSPÉ de Versailles, France). Animation : Bruno Robbes.

12h30-14h00 : Pause repas.

Après-midi – Pratiques, outils, questions : forum des écoles de France, Belgique, Suisse

14h00 : Ateliers d’échange de pratiques et d’expériences.

16h00 : Point de suspension : « Demain la pédagogie… », par Olivier Maulini et Valérie Lussi Borer. 

16h30 : Verrée de clôture, salutations et envol.

Plus d’information sur l’événement

https://www.unige.ch/fapse/life/debats/colloques/soigner-le-milieu/

https://agenda.unige.ch/events/view/34538

L’école n’est pas juste un lieu pour apprendre : c’est un lieu pensé et organisé pour apprendre ensemble, en groupe, dans un collectif qui peut parfois soutenir, parfois compliquer voire empêcher les apprentissages. Les établissements scolaires et leurs classes forment autant de mini-sociétés, où tous les phénomènes humains peuvent cohabiter : protection et violence ; égoïsme et solidarité ; coopération et rivalité ; haine et amour ; confiance et soupçon ; peur et joie ; fierté et humiliation ; désir de grandir ou crainte de régresser… Croire que les savoirs et les livres suffiront à rendre chaque enseignant et chaque élève raisonnable, sage et policé dans ses comportements, c’est faire l’impassesur la part inconsciente et pas toujours rationnelle de nos existences. Comment une communauté – a fortiori chargée d’éduquer – peut-elle évoluer en bonne entente si rien ne vient d’emblée lastructurer, l’organiser, subordonner les rapports de force et de séduction à des lois, des règles, des rituels capables de prévenir les risques de fusion et d’abus de pouvoir ?

Nos pulsions d’emprise, d’agression ou de manipulation peuvent nous effrayer, mais refuser de les voir est le plus sûr moyen de les laisser prospérer. Ce qui vaut hors de l’école vaut dans ses murs dela même façon : la culture et les institutions servent de tiers médian – symbolique et parfois matériel – entre des personnes et des groupes interagissant ainsi sur un arrière-fond de repères explicités. La pédagogie institutionnelle est née de cette analogie : si la vie démocratique a besoin de règles, de lois, de sanctions et de lieux pour délibérer à leur propos, pourquoi ne pas transposer ce principe à la vie scolaire, aux premiers stades de la socialisation ? Les quoi-de-neuf, conseils de classe, règlements, métiers et monnaie intérieure, brevets de compétence, ceintures de comportement issus de ce mouvement instaurent un ordre qui n’est ni magique, ni parachuté, maisauquel chacun peut et doit participer. Aujourd’hui que les programmes et les plans d’études enjoignent de former les élèves à « participer à la construction de règles facilitant la vie et l’intégration à l’école », en quoi ces outils sont-ils plus que jamais d’actualité, et comment faut-il les penser et les utiliser pour maintenir voire accroître leur fécondité ?

Instituer un cadre n’est pas le contraire mais la première condition de la civilité. Les droits et lesdevoirs de la citoyenneté peuvent paraître complexes et procéduriers, mais leurs vertus émergentdès lors qu’un centralisme ou un libéralisme autoritaire, sûr de son fait et refusant d’en discuter,vient à les supplanter. La recherche et l’expérience des enseignants témoignent du fait que plus une société devient brutale, inégale, stressée, angoissée, fragmentée, plus la lutte de tous contre tous a tendance à gagner ses écoles, ses préaux, jusqu’à l’intimité des classes et des leçons. Les réactions immédiates peuvent alors hésiter entre répression et compensation : retour à l’ordre par un surcroîtde menaces et de punitions, et/ou atténuation du traumatisme par une éducation bienveillante et positive, accompagnant mais ratifiant paradoxalement le durcissement. Les débats sur la qualité des renforcements (« Faut-il valider les bonnes actions ou sanctionner les mauvaises ? Être avenant ou exigeant ? Faire asseoir ou bouger ? ») font comme si les adultes devaient tout décider, comme si les élèves n’avaient rien à dire ni à penser, comme si le but de leur éducation était de les rendre en somme reconnaissants plutôt qu’intelligents, en attente de consignes fiables plutôt que peu à peucapables de s’autogouverner. Le risque devient alors d’acheter à crédit la paix du moment, de former des exécutants dociles et conciliants, incapables plus tard du libre-arbitre, du sens critique et del’autonomie dont les démocraties et les programmes scolaires font pourtant la promotion.

Entre l’école-caserne (ankylosante) et l’école-onguent (anesthésiante), la pédagogie a toujours cherché des voies plus créatives et émancipatrices, impliquant activement les élèves dans la construction du groupe nécessaire à leur éducation. Little Commonwealth (Angleterre), Kinderdörfer(Allemagne), colonies Gorki (Union Soviétique), écoles démocratiques (Etats-Unis) ou républiquesd’enfants (France, Espagne, Pologne…) : les expériences de l’Éducation nouvelle ont presque partout prôné la démocratisation par la participation. Janusz Korczak a ainsi instauré « réunions débats » et « parlement des enfants ». Célestin Freinet en a déduit ses « réunions de coopérative », en référence aux apprentissages censés découler de projets rassembleurs, ancrés dans la vie des élèves. Après lui, les praticiens travaillant avec Fernand Oury ont institué le conseil, lieu de parole certes capabled’entendre des plaintes et d’arbitrer des conflits, mais aussi d’institutionnaliser le milieu et d’apprécier la manière dont chaque sujet grandit au sein du groupe. Dans une école intégratrice, le talent ou le mérite individuel n’ont de valeur que s’ils œuvrent au progrès de tous, sans isoler personne dans sa bulle de confort ou son complexe d’indignité. À quoi bon attiser la compétition scolaire pour ensuite prendre en charge un par un les élèves mal notés, déclassés, exclus ou «décrochés»? Cette méthode s’épuise à guérir les effets des problèmes qu’elle génère. Elle entérine un « chacun pour soi » que le bon sens commanderait d’éviter en priorité. Dépister, diagnostiquer et étiqueter des cas singuliers renforce la logique des destins compartimentés, alors que c’est à cette logique qu’il faudrait aussi et peut-être d’abord s’attaquer. Entre les deux fantasmesd’ordre parfait qui peuvent toujours nous habiter – celui de l’unité et celui de l’unicité idéalisée – l’éducation démocratique ne consiste-t-elle pas à apprendre ensemble (et concrètement) commentcombiner liberté et égalité, besoin d’intégration et d’intégrité ?

La pédagogie institutionnelle part précisément du principe que la santé d’un groupe vaut plus que la prévenance de son chef et que la somme de ses parties isolées : c’est ainsi qu’elle systématise le partage des responsabilités, ancre la vie scolaire dans le souci collectif d’apprendre d’autrui, concilie l’alliance et la confrontation sécurisée des expériences. Pour son fondateur Fernand Oury, c’est d’abord le milieu que les professionnels soignent: pas les troubles qu’il produit lorsqu’il estmaltraité. « Soigner le milieu », c’est d’abord en faire la matrice de ce qui peut s’y développer ; c’estensuite se demander quel climat de travail aide quelles relations à se nouer ; c’est enfin inclure les élèves dans le problème posé, sans quoi ils seront exclus des solutions à chercher. Autoriser l’expression de soi par l’apprentissage de l’écoute entre alter ego, justifier mutuellement les devoirs et les droits, rendre les implicites discutables, les sentiments entendables, les angoisses apprivoisables : seule une vraie parole amène les sujets ainsi engagés dans le dialogue à se reconnaître réciproquement dignes de respect. Il faut pour cela davantage que de la bonne volonté, que des messages positifs, que la douce doctrine d’une immédiate convivialité. Si la pédagogie a besoin d’institutions, c’est que la négativité se domestique mieux en étant saisie que refoulée, qu’il faut des limites pour installer des espaces d’expérience et de discussion, qu’un seul interdit libèredavantage que des listes de permissions. En quoi les préoccupations d’aujourd’hui – de la « gestion de classe » au « management des établissements » – gagneraient-elles à puiser dans une tradition dont les pratiques ordinaires portent des traces plus ou moins fidèles, mais dont tant le métierd’élève que le métier d’enseignant sont loin d’avoir épuisé le potentiel d’émancipation ?

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Mireille Cifali "Une carrière consacrée aux métiers de l'humain". Site propulsé par WordPress avec le Theme Adventure par Eric Schwarz
adapté par Gérard Jean-Montcler
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Mireille Cifali

Une carrière universitaire consacrée aux métiers de l'humain